CONTROVERSE(S)

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Les concertations et enquêtes publiques servent-elles à quelque chose ?

 

Le droit français est riche de dispositions assurant l’information et la participation du public en préalable au lancement de projets ayant un impact sur l’environnement.

Quelques dates :

* 1810 : les premières enquêtes publiques visaient à garantir le droit de propriété avant une expropriation. Progressivement leur objet s’est élargi.

* 1983 : la « Loi Bouchardeau » en fait un dispositif d’information et de recueil des avis de la population afin que l’intérêt général soit mieux pris en compte.

* 1985 : concertation obligatoire pour les projets d’aménagement d’importance.

* 1995 : la Loi Barnier renforce la protection de l'environnement et met en place une instance garante de la participation du public au processus décisionnel.

* 1997 : La Commission Nationale du Débat Public (CNDP), est la garante du droit de chaque citoyen d’être informé et de participer aux décisions ayant un impact sur l’environnement.

*  2014 : création d’une procédure de concertation facultative.

Mais dans la pratique, les citoyens restent souvent peu satisfaits de leurs expériences de ces dispositifs. Alors ces concertations et enquêtes servent-elles à quelque chose ?

Pour :

Les concertations préalables, comme les enquêtes publiques obligent les collectivités à sortir de l’omerta. En dehors de ces procédures, les citoyens n’ont en effet pas accès aux documents souvent volumineux qui sont mis à disposition des élus. Les instances de décision des collectivités travaillent en vase clos. Et ce ne sont pas des articles pro domo dans leurs magazines ou ceux de la presse quotidienne régionale qui suffisent à donner une information exhaustive et non partisane. Les concertations et enquêtes publiques permettent aux citoyens et à leurs organisations d’accéder à des documents jusque-là non divulgués.

Contre :

Les concertations sont rarement des recherches collectives de solutions face à un problème clairement analysé et partagé. Peu d’élus mettent en place de véritables dispositifs en amont dans l’esprit de la loi de 1985. On attend souvent que le dossier soit élaboré pour rencontrer le public, au lieu de débattre du problème posé et de rechercher l’éventail de solutions permettant d’y répondre. Les méthodes de la Suisse de co-construction de solutions avec toutes les parties prenantes s’avèrent beaucoup plus efficaces. Mais cela suppose que les élus, leurs services et leurs prestataires acceptent de ne pas avoir le monopole des compétences.

Dans son rapport au Premier Ministre de 2015, le préfet Jean Pierre DUPORT indique : « L’enquête publique arrive trop tard. Au moment où elle est ouverte, l’état d’avancement des projets est tel que la participation du public n’est plus susceptible d’apporter que des ajustements marginaux. Dans ces conditions, l’enquête publique tend à être considérée par les maîtres d’ouvrage comme une contrainte administrative sans valeur ajoutée – si ce n’est l’anticipation de futurs contentieux – provoquant un allongement du délai de réalisation des projets ; pour le public, elle est source de déception, car ni le principe du projet, ni ses éléments essentiels ne sont en débat. »

Pour :

Les débats organisés par la CNDP ont montré que les participants acquièrent de réelles compétences et des connaissances au cours de ce processus. C’est un acquis important pour redonner une véritable place aux citoyens dans la conduite des politiques publiques. Cela peut paradoxalement contribuer à fédérer les opposants et renforcer le poids de leurs arguments. Ce fut le cas pour le projet de ligne à très haute tension qui devait traverser les Pyrénées Orientales pour se connecter avec l’Espagne. Le projet fut abandonné à l’issue du débat public en 2006.

Contre :

Les dossiers soumis à enquête publique sont souvent incomplets. Le dossier relatif à la gare de Manduel ne disait rien des hypothèses de répartition des trains entre gare centre-ville et gare nouvelle. Il n’indiquait également pas de chiffrage du coût de fonctionnement de la nouvelle gare et de la prise en charge éventuelle du déficit que devrait payer le contribuable. Comme souvent on demande aux élus de voter un investissement en ignorant les contraintes et les charges de fonctionnement.

Pour :

Les dispositifs de concertation peuvent conduire à modifier les projets des collectivités. A Nîmes, la concertation sur le parc Jacques Chirac a conduit la municipalité à abandonner la partie immobilière imaginée dans le premier projet en bordure de la rue Quatrefages. 

Contre :

Une enquête publique aboutit rarement à bloquer les projets absurdes. Comme dans l’affaire du Parc Meynier de Salinelles à Nîmes ou le projet de plateforme Amazon de Fournès, c’est l’action en justice de collectifs et d’associations qui ont conduit à l’annulation des projets.

Les commissaires enquêteurs ont-ils suffisamment de charisme et d’indépendance pour résister aux pressions morales des élus et de l’administration ? Ce sont souvent d’anciens fonctionnaires qui ont des notions de droit et respectent le travail de l’administration. Pour Frédéric Graber, auteur du livre « L’inutilité publique », les enquêtes d’utilité publique ont pour but de vérifier la conformité d’un projet avec la réglementation existante « et non pas de discuter de ce qui pose problème pour les citoyens ».

Sans conclure :

En France, on a souvent tendance à multiplier les lois, sans se soucier de leur bonne application. En matière de concertation et d’utilité publique, les déceptions persisteront tant que les décideurs considéreront ces textes comme des contraintes, des formalités à gérer, plutôt que d’y voir une occasion de travailler ensemble pour faire émerger l’intérêt collectif.

 

Commentaires de Bernard Dardel :

J’ai apprécié la très belle rédaction du dernier Controverse sur l’Enquête publique.
Il m’inspire deux remarques :
1- Il ne s’agit plus ici du "pour et contre » et cela me convient très bien. On est plus dans la controverse mais dans l’approche critique. Critique de l’enquête publique telle qu’elle est pratiquée, voire détournée, et c’est ce que vous avez fait.
2- Deux positions de Graber n’ont pas été reprises, et elles manquent : l’intérêt du commissaire enquêteur d’être repris pour une autre enquête, donc son intérêt de ne pas créer de vague vis à vis du maitre d'ouvrage, et l’illégalité qui consiste à ne pas répondre sur le fond aux remarques du registre. Nous l’avons tristement vu pour la gare de Manduel.

Merci pour ce travail de fond. C’est une belle entreprise.
Bernard Dardel

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